Me GASSIN – Cabinet LA LIGNE CLAIRE – Avocats à BREST – a assisté à la formation proposée par l’ENM, ouverte aux avocats, sur la notion de Contrôle Coercitif.
Cette formation était animée par Guenola SUEUR et Pierre-Guillaume PRIGENT, sociologues et chercheurs, qui travaillent autour de cette question depuis de nombreuses années, notamment à travers des entretiens avec des femmes victimes de violences conjugales.
Ces deux professionnels ont présenté avec beaucoup de conviction l’intérêt de ce concept qui permet de recontextualiser la violence conjugale en allant au-delà des violences physiques et psychologiques que peut subir la victime.
Le contrôle coercitif se distingue par une dynamique de domination et de contrôle, où un partenaire exerce un pouvoir sur l’autre.
La définition qui fait consensus est celle de Evan STARK, chercheur américain, qui dit que « le contrôle coercitif est une conduite qui vise à maintenir le pouvoir en utilisant différentes tactiques ».
Pierre-Guillaume PRIGENT a précisé avoir identifié huit tactiques dans sa thèse : isolement, privation de ressources, contrôle, intimidation, dévalorisation, confusion, sur-responsabilisation et violence.
Les sociologues ont souligné la difficulté pour les victimes à sortir d’une situation de contrôle coercitif, précisant que l’exercice conjoint de l’autorité parentale a pour conséquence de maintenir le contrôle coercitif par l’intermédiaire des enfants.
Par 5 arrêts en date du 31 janvier 2024, la Cour d’Appel de POITIERS insère dans la jurisprudence le contrôle coercitif.
Saisie sur le fondement d’infractions relatives aux violences conjugales, la Cour a apprécié les éléments caractéristiques des infractions reprochées, principalement au regard du contrôle coercitif dont elle a donné une définition, à travers une motivation volontairement rédigée de manière identique dans les 5 arrêts :
« La Cour analyse l’ensemble de ces faits comme la mise en place d’un contrôle coercitif sur la personne de Madame, dans lequel les infractions pénales de harcèlement ou de menaces de mort se contextualisent.
Les agissements de Mr sont divers et cumulés. Pris isolément, ils peuvent être relativisés. Identifiés, listés et mis en cohérence, ils forment un ensemble : les outils du contrôle coercitif. Ils visent à piéger sa femme dans une relation où elle doit obéissance et soumission à un individu qui s’érige en maître du domicile et du fonctionnement familial.
Ces actes ne peuvent pas s’expliquer que comme le résultat d’inconduites individuelles : frustration, colère, alcoolisation, désocialisation, déséquilibre psychologique ou maladie mentale, manque de maîtrise des émotions. Ils s’inscrivent dans un mécanisme collectif et historique d’inégalités structurelles entre les femmes et les hommes et leurs manifestations dans le couple et la famille. Les violences faites aux femmes s’adossent à un système de pensée, de représentations qui encadrent les conduites humaines, masculines comme féminines.
La violence intrafamiliale doit être alors analysée comme une forme de violence sociale. Le cadre est l’affirmation du pouvoir sur l’autre. Le principe est la domination. Les moyens sont les tactiques diverses et cumulées. Le tout vise à contrôler, minorer, isoler, dévaloriser, capter, fatiguer, dénigrer, contraindre.
La stratégie de l’auteur est fondée sur la micro-régulation du quotidien de la femme, par une série d’actes repérables dans les procédures judiciaires. La violence physique n’est que la partie la plus visible de cet échafaudage de comportements. Le contrôle coercitif est permanent et cumulatif. Ce schéma de conduite calculé est déployé pour contrôler la vie des femmes. Il fait peser un danger sur la femme et un risque indissociable sur l’intégrité psychologique et physique des enfants.
Les manœuvres délibérées et répétées de déstabilisation psychologique, sociale et physique ont pour effet de diminuer la capacité d’action de la victime et de générer un état de vulnérabilité ou de sujétion.
Les conséquences en sont le psycho-traumatisme, le mal développement ou la carence et donc le dommage moral. Elles aboutissent à une altération de la santé de la femme, notamment en la contraignant à vivre dans un climat de crainte pour sa sécurité et ou celle de ses enfants, auquel elle s’adapte constamment.
Le contrôle coercitif est une atteinte aux droits humains, en ce qu’il empêche les victimes de jouir de leurs droits fondamentaux comme la liberté d’aller et venir, de s’exprimer, de penser, d’entretenir des liens familiaux. »
Par ces 5 arrêts, la notion de contrôle coercitif devient donc en France et pour la première fois un outil d’appréciation des faits de violences conjugales qui aide à qualifier l’infraction et à apprécier la peine à prononcer.
Il s’agit d’une avancée importante pour la défense des victimes de violences conjugales !